Auteur : Laura JARICOT

Les avocats œuvrant dans le domaine de la fiscalité internationale ont l’habitude de manier les conventions fiscales bilatérales, conclues entre la France et un Etat tiers dans le but, notamment, d’éliminer les phénomènes de double imposition.

En effet, les conséquences fiscales d’une opération comportant un élément d’extranéité dépendent de l’existence ou non d’une convention fiscale et des stipulations particulières de celle-ci.

En France, les conventions fiscales ont, comme tout traité ou accord international, une autorité supérieure à celle des lois, en application des dispositions de l’article 55 de la Constitution : on parle de « primauté » des conventions fiscales sur le droit interne.

Ce principe est à concilier avec celui de subsidiarité des conventions fiscales internationales, selon lequel le juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une convention fiscale, doit d’abord se placer sur le terrain du droit interne pour rechercher si l’imposition a été valablement établie, et dans l’affirmative, sur le fondement de quelle qualification[1].

Il lui appartient ensuite, le cas échéant en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer en fonction des moyens invoqués devant lui, ou même d’office s’agissant de déterminer le champ d’application de la loi, si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi française nationale[2].

[1] Cf. CE, 28 juin 2002, n°232276, min. c/ Sté Schneider Electric

[2] Malgré ce principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales, il appartient au juge d’appliquer directement les stipulations claires d’une convention relatives, non à la répartition du pouvoir d’imposer entre les Etats, mais aux modalités d’élimination des doubles impositions : CE, 8e et 3e ch., 31 mai 2022, n°461519, min. c/ Sté HSBC Bank PLC Paris Branch.

Cas pratique

Le président d’une SAS (assimilé salarié donc) dont le siège social est établi en France, est résident de Tunisie.

La SAS ayant omis de procéder aux retenues à la source prévues à l’article 182 A du CGI, l’Administration fiscale notifie une proposition de rectification à la société, en prenant comme base d’imposition 100% de la rémunération du président : l’intégralité de la rémunération du salarié est donc imposée en France, alors qu’il n’a pas travaillé 100% de son temps sur le territoire français.

Application des principes susmentionnés :

  1. Analyse du droit interne français
  • Article 4 A du CGI : les personnes qui n’ont pas en France leur domicile fiscal ne sont soumises à l’IR qu’à raison de leurs seuls revenus de source française ;
  • Article 164-B I du CGI : parmi les revenus de source française, figurent les revenus d’une activité salariée en France ;
  • Article 182 A du CGI : la retenue à la source est applicable sur les sommes versées à des personnes qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France, à titre de traitement sou salaires rémunérant une activité professionnelle salariée exercée en France.
  1. Analyse de la convention fiscale applicable (en l’espèce, la convention franco-tunisienne)
  • L’article 182 A du CGI susmentionné n’est applicable que sous réserve de la convention fiscale internationale, qui peut retirer à la France le droit d’imposer ;
  • Article 22-1 de la convention : les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d’un Etat contractant [Ndlr : en l’espèce, tunisien] reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat [Ndlr : Tunisie], à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre Etat contractant [Ndlr : France]. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat [Ndlr : France];
  • La jurisprudence se réfère expressément aux commentaires OCDE formulés après l’entrée en vigueur de la convention en cause pour interpréter les dispositions de cette dernière ;
  • En l’espèce, les commentaires OCDE sur l’article relatif aux « revenus d’emploi » précisent que c’est le lieu physique d’exercice de l’activité salarié qui compte (« l’emploi est exercé à l’endroit où le salarié est physiquement présent lorsqu’il exerce les activités au titre desquelles les revenus liés à l’emploi sont payés »).

Nous concluions de cette analyse que la SAS aurait effectivement dû prélever des retenues à la source sur le salaire versé à son président, mais uniquement pour la fraction de sa rémunération afférente à ses jours de travail passés en France.

Position de l’Administration fiscale :

L’Administration fiscale arguait du fait que la convention fiscale bilatérale conclue entre la France et la Tunisie n’était pas applicable, dans la mesure où l’objet principal des conventions fiscales étant l’élimination des doubles impositions, elles ne s’appliquent que dans l’hypothèse où une double imposition a été émise.

Or, en l’espèce, le contribuable n’avait pas déclaré ses salaires en Tunisie, pays de sa résidence fiscale.

L’Administration fiscale croyait pouvoir en conclure qu’en l’absence de double imposition, seul le droit interne s’appliquait, ce qui signifiait que la retenue à la source pouvait s’appliquer sur l’intégralité de la rémunération du président de la SAS, peu important qu’il ait travaillé en France ou à l’étranger.

Elle avançait également l’argument selon lequel plus de 90% du chiffre d’affaires de la société était réalisé en France.

Issue du litige :

D’une manière générale, on peut reconnaître un triple rôle aux conventions fiscales :

  • Elimination de la double imposition
  • Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales
  • Protection des contribuables

L’élimination de la double imposition est l’un des rôles de la convention fiscale bilatérale mais il ne s’agit pas d’une condition sine qua non d’application de la convention fiscale, en l’occurrence franco-tunisienne.

En effet, les conventions fiscales internationales ont également pour but de répartir les pouvoirs d’imposition entre les Etats parties, et il n’est pas nécessaire d’être victime d’une double imposition juridique pour obtenir le bénéfice de la convention fiscale en question.

Afin d’apprécier si la convention fiscale est applicable, il convient d’examiner les points suivants :

  • La convention est-elle en vigueur ?
  • La personne concernée est-elle résidente d’un Etat ou des deux Etats ?
  • L’impôt en cause est-il visé par la convention fiscale ?

Ces points ne faisant pas débat, il convenait d’en conclure que la convention était bel et bien applicable.

Ce n’est pas parce qu’un revenu n’a pas été effectivement taxé à l’étranger qu’il doit, de ce fait, être imposé en France.

Sauf stipulation conventionnelle particulière (p. ex. existence d’une clause de sauvegarde), l’application d’une convention fiscale à un résident d’un Etat n’est pas subordonnée à ce que le revenu en cause soit lui-même imposable dans cet Etat.

La non-imposition d’un revenu dans les deux Etats concernés n’a jamais fait obstacle à la possibilité d’appliquer la convention fiscale[3].

L’Administration fiscale s’est finalement ralliée à notre position au stade de l’interlocution, plus de 2 ans après la notification de la proposition de rectification !

Dans le cas présent, les moyens de droit développés ont permis de passer d’un redressement en droits de 40.000 € à un redressement final de 2.300 €.

[3] Cf. CE 26 février 1992, n°83461, Malet ; CE, 29 juin 2011, n°320263, min. c/ Chauvin ; CE 12 mars 2014, n°352212, Sté DGFP Zeta.