Conséquences fiscales au niveau du groupe intégré des rectifications notifiées à une filiale :

Simple information ou proposition de rectification ?

Auteurs : Rodolphe MOSSÉ/Laura JARICOT

Il y a 4 ans, nous avions publié un article dans la revue VILLAGE de la JUSTICE intitulé  « analyse d’un avis de mise en recouvrement : Dieu est dans les détails ».

48 mois plus tard, hasard du calendrier, la Cour Administrative d’Appel de LYON nous donne l’occasion de remettre à nouveau sur le devant de la scène l’expression « le bon Dieu est dans le détail. »

Dans un litige intéressant une nouvelle fois une filiale intégrée, au sens des dispositions des articles 223 A et s. du CGI, la Cour Administrative d’Appel de LYON a été saisie d’un moyen de procédure lié aux conséquences de la rectification opérée au niveau de la filiale sur le résultat d’ensemble du groupe intégré.

La chronologie des faits était relativement simple : la non-déductibilité d’une somme inscrite en « charge à payer » au niveau de la société « FI », filiale intégrée, au titre de son exercice clos en 2015 qui s’est traduite par la remise en cause au niveau de la société mère intégrante (la société HF), du résultat d’ensemble au titre de ce même exercice.

La singularité du dossier dont la juridiction administrative a été saisie porte sur le fait que cette rectification ne s’est pas traduite par un rappel d’impôt sur les sociétés (IS) au niveau de la société mère intégrante HF au titre de l’exercice 2015 mais deux ans plus tard, au titre de l’exercice 2017, du fait de l’absorption des déficits d’ensemble au titre des exercices 2015 et 2016 lié au rehaussement notifié à la filiale intégrée FI.

Saisie du litige en appel, l’analyse du dossier laissait peu de place à l’espoir d’obtenir satisfaction sur le fond du dossier.

En revanche, l’examen des pièces de procédure appela la question suivante : Est-ce que le courrier d’information adressée à la société mère intégrante HF, au titre des dispositions de l’article R*256-1, al. 4 du LPF, est suffisant pour justifier la régularité d’un AMR au titre d’un rappel d’IS portant sur l’exercice 2017 ?

Telle a été la question posée à la Cour Administrative d’Appel de LYON.

Pour mémoire, l’article R*256-1, al. 4 du LPF dispose :

« Lorsqu’en application des dispositions de l’article 223 A du code général des impôts ou de l’article 223 A bis du même code la société mère d’un groupe ou l’établissement public industriel et commercial qui s’est constitué seul redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats d’un groupe est amené à supporter les droits et pénalités résultant d’une procédure de rectification suivie à l’égard d’un ou de plusieurs membres du groupe, l’administration adresse à cette société mère ou à cet établissement public, préalablement à la notification de l’avis de mise en recouvrement correspondant, un document l’informant du montant global par impôt des droits, des pénalités et des intérêts de retard dont elle ou il est redevable. L’avis de mise en recouvrement, qui peut être alors émis sans délai, fait référence à ce document. »

De son côté, la doctrine administrative[1] rappelle cette règle en en reprenant les termes presque au mot près :

« Lorsqu’en application des dispositions de l’article 223 A du CGI, la société mère d’un groupe est amenée à supporter les droits et pénalités résultant d’une procédure de rectification suivie à l’égard d’une ou de plusieurs sociétés du groupe, l’administration adresse à la société mère, préalablement à la notification de l’AMR correspondant, un document l’informant du montant global par impôt des droits, des pénalités et des intérêts de retard dont elle est redevable. L’AMR, qui peut être alors émis sans délai, fait référence à ce document ».

La même doctrine administrative, au § n°360, précise que « la mauvaise identification du redevable, la non-exigibilité des sommes mises en recouvrement, le défaut de qualité du signataire, l’absence d’indication des éléments prévus par l’article R*256-1 du LPF affectent la validité des avis de mise en recouvrement ».

Dans ses conclusions sous un arrêt du Conseil d’Etat en date du 3 avril 2020, Sté Bils Deroo Holding[2], Monsieur Romain VICTOR, rapporteur public, a rappelé la portée des dispositions de l’article R*256-1, al. 4 du LPF :

« L’article R 256-1 ne fait que mettre en œuvre une obligation générale et préexistante qui découle de l’architecture même de l’intégration fiscale. C’est ce qu’enseigne vos décisions min. c/ Sté Weil Besançon CE 7-2-2007 no 279588 : RJF 4/07 no 407, concl. E. Glaser BDCF 4/07 no 44; et EURL Pub Finance CE 13-12-2013 no 338133 : RJF 3/14 no 231, concl. C. Legras BDCF 3/14 no 33, rendues à propos de situations antérieures à l’entrée en vigueur du décret du 23 décembre 2004. Elles justifient cette obligation faite à l’administration d’informer la mère par le motif que, si cette dernière s’est constituée seule redevable de l’impôt sur les sociétés pour le groupe, d’une part, les sociétés membres de ce groupe restent soumises à l’obligation de déclarer leurs résultats, d’autre part, c’est avec ces dernières que l’administration fiscale mène la procédure de vérification de comptabilité et de rectification, enfin, les redressements apportés aux résultats déclarés par les sociétés membres du groupe constituent les éléments d’une procédure unique conduisant d’abord à la correction du résultat d’ensemble déclaré par la société mère du groupe, puis à la mise en recouvrement des rappels d’impôt établis à son nom.

Vous avez cantonné l’information due à la société tête du groupe à une «référence aux procédures de redressement qui ont été menées avec les sociétés membres du groupe et à un tableau chiffré qui en récapitule les conséquences sur le résultat d’ensemble, sans qu’il soit nécessaire de reprendre l’exposé de la nature, des motifs et des conséquences de chacun des chefs de redressement concernés». Vous avez notamment écarté lidée qu’il appartiendrait à l’administration de se conformer aux dispositions de l’article L 57 du LPF, c’est-à-dire d’adresser une proposition de rectification à la société mère distincte de la proposition de rectification adressée à la société membre du groupe ayant fait l’objet du contrôle.

Il en résulte que l’envoi d’une simple lettre informant la mère des conséquences des rectifications suffit (CE 2-6-2010 no 309114, Sté France Télécom : RJF 8-9/10 no 784, concl. C. Legras BDCF 8-9/10 no 89). »

Il a ajouté :

« C’est une chose que de savoir quel redressement en base a été notifié à une société membre du groupe (et de mesurer la conséquence fiscale théorique que produirait le redressement «en labsence dappartenance à un groupe», dont la société vérifiée est informée en application de larticle L 48 du LPF) et cest une autre chose que de connaître les conséquences financières que ladministration attache à la rectification pour le groupe. Il y a bien, en effet, deux étapes distinctes : correction du résultat individuel de la société Z du groupe dont A est la mère intégrante; correction du résultat densemble du groupe pour en déduire un montant dimpôt sur les sociétés mis à la charge de A. »

Au cas d’espèce, il n’était pas contesté que l’Administration fiscale avait adressé à la société mère intégrante HF un courrier n°751-SD.

Ce courrier comportait notamment le détail des rectifications effectuées chez la société FI au titre de son exercice clos le 31 décembre 2015 suite à une proposition de rectification en date du 15 février 2017.

Il indiquait également un montant de droits dus par la société mère HF non pas au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2015 mais au titre du résultat d’ensemble de l’exercice clos le 31 décembre 2017.

Le conseil de la société HF a considéré que dans la mesure où le contrôle de sa filiale intégrée FI a abouti à la réduction du résultat déficitaire d’ensemble de l’exercice clos au 31 décembre 2015, l’information exigée par l’article R *256-1, al. 4 du LPF devait se limiter à cette simple information sans pouvoir faire apparaître, par hypothèse, un quelconque montant de droits dus au titre de cet exercice.

En revanche, le fait que cette réduction du déficit d’ensemble de l’exercice clos le 31 décembre 2015 conduisait à une cotisation supplémentaire d’IS, au niveau du groupe d’intégration fiscale, deux exercices plus tard, c’est-à-dire au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2017, ne pouvait relever des seules dispositions de l’article R *256-1, al. 4 du LPF mais aurait dû faire l’objet d’une proposition de rectification en application des dispositions de l’article L 57 du LPF.

La société HF a donc considéré que la garantie instituée par l’article L 57 du LPF a été méconnue par l’Administration fiscale et qu’elle était dès lors fondée à soutenir que la procédure d’imposition et l’émission de l’avis de mise en recouvrement en découlant étaient entachées d’irrégularités de nature à entraîner la décharge de l’imposition d’IS supplémentaire dû au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2017.

Bien entendu, l’Administration fiscale ne l’a pas entendu de cette oreille et elle est restée « droite dans ses bottes » arguant du caractère inopérant du moyen de procédure soulevé.

Le salut est venu d’un arrêt du Conseil d’Etat en date du 5 novembre 2021.[3]

Certes, l’arrêt du Conseil d’Etat en question ne concerne que le décompte de l’intérêt de retard en cas de proposition de rectification ne conduisant pas à un supplément d’impôt au cas particulier des groupes intégrés mais une lecture des conclusions du Rapporteur Public, Madame É. Bokdam-Tognetti, apporte une pierre à l’édifice des règles de procédure d’imposition à respecter par l’Administration fiscale lorsque, comme en l’espèce, la proposition de rectification adressée à la filiale intégrée n’entraîne pas au titre du même exercice de supplément d’imposition au niveau du Groupe fiscalement intégré.

Dans ses conclusions rendues sous l’arrêt « Elior Group », Madame le Rapporteur Public indique :

« Lorsque le rehaussement du résultat d’une filiale – qu’il soit bénéficiaire ou déficitaire – au titre d’un exercice N-3 ne se traduit pas par l’établissement d’un supplément d’IS dû par la mère du groupe au titre de ce même exercice, le résultat d’ensemble demeurant déficitaire après la rectification, ce rehaussement ne donne lieu au paiement d’aucun intérêt de retard par la tête de groupe au titre de cet exercice. En pareil cas, des intérêts de retard ne seront dus, le cas échéant, par la société mère du groupe qu’au titre de la créance d’IS de l’exercice ultérieur (par exemple N-1) au cours duquel le résultat d’ensemble redevient bénéficiaire. Ces intérêts, qui s’appliquent à compter de la date qui était impartie à la mère pour la déclaration et le paiement de l’IS de cet exercice, doivent alors courir, non pas jusqu’à la date à laquelle la rectification du résultat individuel de l’exercice N-3 avait été notifiée à la fille, mais jusqu’à la date à laquelle l’administration fiscale adresse à la tête de groupe la proposition de rectification lui notifiant le rehaussement du résultat d’ensemble N-1 redevenu bénéficiaire et se traduisant par un supplément d’impôt ou, si ce paiement intervient avant l’envoi de cette proposition de rectification, jusqu’à la date à laquelle la mère régularise sa situation par le paiement effectif de l’insuffisance d’impôt initiale. »

Autrement dit, Madame le Rapporteur Public rappelle – dans l’hypothèse qui est celle d’une rectification au titre d’un exercice clos en N qui n’a entrainé aucun supplément d’IS au niveau du résultat d’ensemble du même exercice – que l’Administration fiscale aurait dû adresser une proposition de rectification à la société mère, au titre de l’exercice clos en N+2, 1er exercice redevenu bénéficiaire.

Dans la note publiée à la Revue Droit Fiscal n°16 du 21 avril 2022[4], l’auteur rappelle les règles applicables en matière de procédure de redressements apportés aux résultats déclarés par les sociétés intégrées (point n°5 de la note).

Après les avoir rappelées, il indique (point n°6 de la même note) :

« Compte tenu de ces règles, il n’existe, en principe, qu’une seule proposition de rectification, celle adressée à la société dont le bénéfice est rectifié. C’est donc cette proposition qui marquera le terme du décompte des intérêts de retard mis à la charge de la société tête de groupe. Mais, cette règle ne peut trouver à s’appliquer que lorsque les conséquences de la rectification sont tirées au niveau du groupe au titre du même exercice. Lorsque, comme au cas d’espèce, la rectification réduisant le bénéfice d’une des sociétés intégrées ne se traduit par une imposition supplémentaire au niveau du groupe que 2 ans plus tard, l’administration devra notifier une nouvelle proposition de rectification. Dans ce cas, comme l’a fait valoir le rapporteur public, cette proposition ne peut être adressée qu’à la société tête de groupe, seule directement concernée par la mise en recouvrement de l’imposition supplémentaire. »

Dans la présente affaire, Madame le Rapporteur public Mathilde Le Frapper a conclu à la décharge totale des impositions supplémentaires en litige au motif que la procédure était irrégulière en l’absence de proposition de rectification adressée à la société mère intégrante HF au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2017.

La Cour Administrative d’Appel de LYON, suivant les conclusions de son Rapporteur public, vient de faire droit au moyen soulevé par l’appelante dans une décision en date du 1er février 2024.

Elle a fait valoir :

« Dans le cas où les conséquences de la rectification des résultats d’une société membre du groupe se traduisent par l’absence d’établissement d’imposition supplémentaire au titre de l’exercice concerné, compte tenu notamment de son caractère déficitaire, et qu’elles ont vocation à affecter le résultat d’ensemble du groupe lorsque celui-ci redevient bénéficiaire au titre d’un exercice postérieur, l’administration fiscale est tenue d’adresser à la société mère du groupe la proposition de rectification prévue par les dispositions de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, afférente au premier exercice au cours duquel le résultat d’ensemble est redevenu bénéficiaire. »

Par cette décision, elle sanctionne un « loupé » de l’Administration fiscale qui n’a pas respecté une garantie tirée de l’obligation d’adresser une proposition de rectification en application des dispositions de l’article L. 57 du LPF.